Les hackathons, l’avenir de la santé connectée

Marathon : 42,195 km. Hackathon : 50 heures de travail collaboratif – et quelques milliers de lignes de code – pour qu'une idée prenne forme. Un hackathon, c'est une histoire de «pitch» et de caféine, c'est la rencontre de plusieurs univers professionnels, c'est une clé de l'innovation en santé.



Joris Galland est spécialiste en médecine interne. Après avoir exercé à l'hôpital Lariboisière (AP-HP) il a rejoint le CH de Bourg-en-Bresse. Passionné de nouvelles technologies, il se propose dans notre blog «Connexion(s)» de nous en expliquer les enjeux. 



Le terme «hackathon» vous est peut-être étranger. À première vue il peut prêter à confusion puisque le diminutif «hack» vient de «hacking» qui signifie «pirater». Je vous rassure, il n’est pas question de vous présenter ici un concept illégal. Au contraire, je vais vous parler d’une révolution qui a bouleversé l’innovation en santé.

Résumons : depuis quelques années la santé connectée est en plein boom. Malheureusement le déploiement de ces nouvelles technologies est tardif et hétérogène – au regard des possibilités actuelles. Pourquoi les hôpitaux utilisent-ils encore le fax lorsque la plupart des entreprises communiquent par mail, chatbot ou messageries instantanées ? La réponse n’est pas évidente, mais si l’on prend du recul nous pouvons attribuer ce retard technologique à l’absence de collaboration entre trois univers bien différents :

Un exemple emblématique de ce manque de collaboration fut l’arrivée des premiers dossiers patients informatisés (DPI). De nombreuses entreprises se sont lancées dans l’aventure du déploiement de leur solution DPI au sein des hôpitaux français. Résultat des courses ? Une multitude de DPI coexistent, sans réel leader et avec des taux de satisfaction très variables. Ces logiciels, pensés par des informaticiens, déplaisent souvent à leurs utilisateurs (para)médicaux ; ils n’ont ni l’ergonomie ni les fonctionnalités attendues par les professionnels. 

Finalement, la plupart de ces solutions ont subi et subissent encore des modifications après leur déploiement, alors qu’il aurait été tellement plus pertinent – et économe – de les développer en amont avec l’aide des futurs utilisateurs. C’est là qu'interviennent les hackathons : ils placent les professionnels de santé au centre du développement d’un projet e-santé.



Mais c’est quoi, un hackathon ?

Comme son nom l’indique, c’est d'abord un véritable marathon ! On pourrait d’ailleurs traduire ce terme par «marathon de l’innovation». Un hackathon, c’est un concours avec un gagnant et des perdants. Au programme, pas de piratage donc mais de la création et du développement.

En général, un hackathon est un événement-concours qui se déroule au cours d’un week-end, dans un lieu donné, avec un objectif précis : créer ex-nihilo un logiciel, une application, un algorithme, un robot… en seulement 2 jours. Les hackathons peuvent porter sur des domaines variés, tels que le commerce ou encore la justice… Mais il faut bien l’avouer, le service rendu dans le secteur de la santé est totalement hallucinant et mérite d’être développé dans cet article.

Au cours d’un hackathon, le temps est compté : on fait la course pour développer le meilleur projet en un temps limité. Le plus grand hackathon «santé» de France est le «Hacking health camp». Il a lieu chaque année à Strasbourg et dure très exactement 50 heures, non stop, du vendredi soir au dimanche soir. 50 heures et pas une de plus pour qu’une simple idée de départ soit concrétisée en un produit final présentable aux consommateurs. La clef, c’est de réunir tous les protagonistes de nos trois univers précédemment cités.



Un bon pitch et beaucoup de caféine   

Première étape, préparer la caféine ou quelques boissons énergisantes…  Généralement, pendant un hackathon,  on ne prend  pas le temps de dormir (ou très peu). Parmi les forces en présence, on retrouve pêle-mêle des professionnels de santé (médecins, infirmières, kinés, dentistes, pharmaciens, patients…), des informaticiens (codeurs, designers, ingénieurs...) et des entrepreneurs. Vous l’aurez compris, le hackathon est avant-tout un lieu de rencontre entre porteurs de projets et contributeurs.

Vendredi soir. Un professionnel de santé vient «pitcher» une idée. Pitcher, ça veut dire la présenter de manière très succincte – parfois en une ou quelques minutes – avec suffisamment d’aisance et de conviction pour enthousiasmer les participants. Là, ça tient carrément de l’art oratoire, car l’objectif est bien sûr d’avoir un projet viable mais aussi qu’il paraisse suffisamment intéressant pour attirer plusieurs contributeurs qui ensemble constitueront une équipe.

En guise d’exemple, le plus simple est encore que je vous donne le mien. … En tant que médecin, je pensais que la demande d’avis inter-services et/ou l’envoi de photo entre médecins pouvait être améliorée grâce à la création d’une application de messagerie instantanée interprofessionnelle. Devant un public formé d’informaticiens, d’entrepreneurs et de professionnels de santé, et face à des projets concurrents, j’ai donc pitché ma problématique et mon idée d’application le vendredi soir. 

Mes «rivaux» du jour : un pharmacien qui voulait créer une plateforme de livraison de médicaments par drone, un patient atteint de cécité qui souhaitait développer un application de tracking pour l’aider à se déplacer dans les rues, un autre médecin qui avait l’idée d’une application de recueil de données biologiques. 



Mes quatre mousquetaires 

20h. Tous les porteurs de projet ont pitché, les équipes se forment spontanément.  Pour ma part, mon projet a attiré un entrepreneur, un designer, un médecin et un développeur. Ma «team» est née. Les 50 heures suivantes seront ponctuées d'interactions entre les membres de l’équipe : ensemble, ils doivent s’assurer que le projet se développe correctement, sans dévier de l’objectif initial. 

D’emblée, l'entrepreneur s’attelle à trouver le nom et le logo de l’application. Il cible la clientèle, évalue la valeur ajoutée du produit, ébauche la stratégie de communication et imagine le marketing digital – notamment la publicité sur les réseaux sociaux. Et il réfléchit déjà à la manière dont il présentera le produit à la fin du week-end ! 

«Mes» informaticiens se lancent d’emblée dans la partie software. Alors que le designer crée l’interface de la messagerie instantanée, il se rapproche de l’entrepreneur pour définir la couleur et la place du logo. Puis à chaque étape de son travail il demande aux médecins de vérifier et valider l’ergonomie de la messagerie. Cette application n’aura aucun intérêt si elle rebute les utilisateurs. 

Le développeur à quant à lui les yeux scotchés sur ses lignes de codes. S’il travaille surtout avec le designer, il interagit aussi avec les médecins. Au fur et à mesure qu’il avance dans le codage, les idées fusent : «Ce serait possible de télécharger et faire défiler des coupes de scanner dans l’application ?» En l’occurrence, le développeur approuve : «bien sûr, c’est facile !». Ces interactions incessantes entre des professionnels d’horizons variés, ce travail collaboratif, voilà le secret du succès de la e-santé.  



And the winner is …

Dimanche soir, fin du hackathon.
Toutes les équipes présentent leur projet devant un jury d'experts. Généralement les gagnants ne s’arrêtent pas là et la team se transforme rapidement en start-up.

Au final, un hackathon c’est... de l’adrénaline, de la fatigue, une poignée de minutes de sommeil, mais c’est surtout le début de grandes histoires.  De nombreuses start-up sont nées lors d’un hackathon. Depuis sa création en 2014 le Hacking health camp a vu 178 projets aboutir à des prototypes. 22 entreprises y sont nées. Parmi elles, j’en citerai quatre :

Nés d’un hackathon, plusieurs de ces projets ont ensuite pu lever suffisamment de fonds pour se développer sur le long terme… Vous êtes intéressé.e ? Alors, on se retrouve du 26 au 28 mars 2021 pour le prochain Hacking health camp… en ligne cette année, pandémie oblige ! 



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