États-Unis : pour les lombalgiques, la réalité virtuelle sur ordonnance

Un système combinant réalité virtuelle et thérapie cognitivo-comportementale vient d’être agréé par la FDA. Il vise à soulager les douleurs lombaires chroniques.



Traitement des lombalgies chroniques et de l’amblyopie. Focus sur deux dispositifs utilisant la réalité virtuelle et récemment approuvés par la Food and Drug Administration.


Les overdoses d'opioïdes ont tué en moyenne 207 américains par jour entre avril 2020 et avril 2021.1 Ces substances sont responsables d’environ trois-quarts des 100.000 overdoses constatées sur la période. L’«épidémie d'opioïdes» franchit un nouveau cap, et rend d’autant plus urgente l'émergence d'alternatives pour le traitement médical de la douleur.   

[À ce sujet : Épidémie d'opioïdes - Une exception américaine ? ]

Dans ce contexte, la Food and Drug Administration américaine vient d'autoriser la commercialisation d’un système basé sur la réalité virtuelle (RV) et délivré sur ordonnance. EaseVRx utilise la thérapie cognitivo-comportementale (TCC) pour réduire la douleur et son impact chez les patients souffrant de douleurs lombaires chroniques. 


Réalité virtuelle et TCC

La lombalgie chronique a déjà été reliée à l'anxiété et à la dépression ainsi qu’à une dépendance aux opioïdes. Le traitement actuel comprend notamment le recours à des médicaments antidouleur, sur prescription ou en vente libre. La TCC peut aussi être utilisée, afin de modifier, chez les patients, la perception de la relation entre le mouvement et la douleur. Le système EaseVRx utilise ce principe pour soulager la douleur et réduire son impact sur la vie quotidienne. 

Utilisé à domicile, EaseVRx  se compose d'un casque de réalité virtuelle avec micro, d'un boîtier de contrôle ainsi que d'un «amplificateur de respiration» qui aide le patient à effectuer des exercices de respiration. Les mécanismes utilisés relèvent de la TCC (identification des schémas de pensée et des émotions), de la relaxation profonde, du déplacement de l'attention ou encore de la visualisation. Le programme s’étale sur huit semaines, soit 56 sessions quotidiennes d'une durée de 2 à 16 minutes. 

La FDA a évalué la sécurité et l'efficacité d'EaseVRx dans le cadre d'une étude2 clinique randomisée, en double aveugle, portant sur 179 participants souffrant de douleurs lombaires chroniques lombalgie non maligne depuis plus de 6 mois. Les participants présentaient une intensité moyenne de la douleur cotée au minimum à 4 sur 10. Le groupe placebo disposait d’un programme de contrôle 2D, sans recours aux TCC. Les participants ont été suivis pendant une période totale de 8,5 mois, soit jusqu’à six mois après la fin du programme.


Une baisse de la douleur, pas de la consommation d’opioïdes

Dans cette étude, les participants ont évalué à la fin du programme l’intensité de la douleur ainsi que son impact sur l'activité quotidienne, l'humeur et le sommeil. 66% des patients traités avec EaseVRx ont rapporté une réduction de la douleur supérieure à 30% (versus 41% des patients du groupe témoin). 46 % des patients du groupe EaseVRx ont même signalé une réduction de la douleur supérieure à 50% (versus 26 % des participants du groupe témoin). La réduction de 30% de la douleur s’est maintenue jusqu’à trois mois. 

Les participants ont également signalé une diminution de l’impact de la douleur sur l’activité physique. La fonction physique s'est améliorée de manière significative pour les deux groupes, mais avec des améliorations supérieures pour le groupe EaseVRx. 

Concernant la qualité du sommeil, les deux groupes de traitement ont indiqué une réduction modérée à substantielles de l’impact de la douleur. Aucune différence significative entre les groupes n'a été trouvée. En revanche, EaseVR a obtenu de meilleurs résultats que le placebo pour réduire les troubles généraux du sommeil (non liés à la douleur). )

Du côté des traitements, une diminution substantielle du recours aux analgésiques en vente libre a bien été observée pour les patients utilisant EaseVRx, contrairement à ceux du groupe contrôle. Par contre, la consommation régulière d'opioïdes (sur prescription) n’a pas été réduite de manière significative. Idem pour la prise de ces substances «à la demande». Les chercheurs estiment «qu'il est peu probable que des changements de prescription se produisent dans la période de deux mois de l'étude.» La consommation détaillée d'opioïdes est donc un sujet qui doit être étudié plus finement.  

Enfin, aucun événement indésirable grave n'a été constaté durant cette étude. Une gêne liée au port du casque de RV a été signalée par 20% des participants, et environ 10% d’entre eux ont évoqué des vertiges ou nausées liés à la RV. 


La question du placebo  

Lorsqu’il s’agit d’évaluer un traitement par réalité virtuelle, la question du placebo est cruciale. Le système Sham VR utilisé dans cette étude délivre des contenus en 2D dans un casque en 3D. Or la rigueur méthodologique de l'étude a été particulièrement renforcée par l’efficacité de ce placebo. 

Jusqu’à présent, l’engagement des participants d’un groupe placebo utilisant cette technologie allait de 20 à 60%. Dans cette étude, le taux d'engagement était de 90% dans les deux groupes. La qualité de la RV «fictive» semble donc avoir beaucoup progressé. 

Toutefois, il est possible que la pandémie explique également ce fort taux d'engagement des participants, dont ceux du groupe placebo. L’étude s’est déroulée dans un contexte de mesures de distanciation sociale et de «méfiance» envers les soins ambulatoires, qui a pu favoriser l'intérêt pour un traitement de la douleur à domicile. Autre biais, toutes les données étaient déclaratives : impossible donc de vérifier de manière clinique l’intensité de la douleur, ni la consommation de médicaments. 


Un traitement pour tous ?  

L'échantillon de cette étude était principalement composé de femmes, de personnes diplômées de l'enseignement supérieur et adeptes des technologies numériques. Des études antérieures ont déjà montré que les femmes ayant un niveau d'éducation élevé sont plus susceptibles d'utiliser les technologies connectées d'autogestion de la santé, en particulier celles utilisant la pleine conscience (mindfulness). La généralisation à l'ensemble de la population de ces solutions spécifiques de e-santé dépendra notamment de leur appropriation par le corps médical.

EaseVRx a obtenu de la FDA la désignation «Breakthrough Device», attribuée aux dispositifs servant à traiter ou à diagnostiquer une maladie ou une affection potentiellement mortelle ou irréversiblement débilitante. La société AppliedVR, qui commercialise EaseVRx, teste des solutions similaires pour traiter les douleurs associées à la fibromyalgie, aux brûlures ou encore à l'accouchement.



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Notes :

1- CDC, National Center for Health Statistics
Drug Overdose Deaths in the U.S. Top 100,000 Annually (Communiqué de presse, 17 novembre 2021).
2- FDA
FDA Authorizes Marketing of Virtual Reality System for Chronic Pain Reduction (Communiqué de presse, 16 novembre 2021)
3- Garcia LM, Birckhead BJ, Krishnamurthy P, Sackman J, Mackey IG, Louis RG, Salmasi V, Maddox T, Darnall BD
An 8-Week Self-Administered At-Home Behavioral Skills-Based Virtual Reality Program for Chronic Low Back Pain: Double-Blind, Randomized, Placebo-Controlled Trial Conducted During COVID-19
J Med Internet Res 2021;23(2):e26292