L’épilepsie touche 1% de la population. Pour un tiers de ces personnes, les traitements sont inefficaces : la survenue des crises est imprévisible et particulièrement invalidante. Depuis les années 70 les chercheurs essaient de trouver un moyen de prédire ces crises. Des chercheurs ont mis au point une méthode de «prévision» qui combine des enregistrements de l’activité électrique du cerveau et le traitement statistique des données.
Des neuroscientifiques américains et suisses ont réussi à développer une méthode particulièrement fiable pour prédire les crises un à plusieurs jours à l’avance. Des essais cliniques sont prévus. Leurs travaux ont été publiés dans le Lancet Neurology 1.
Un cerveau épileptique peut passer brutalement d’un état physiologique à un état pathologique, caractérisé par une perturbation de l’activité neuronale à l’origine des convulsions. Les raisons de cette brusque évolution sont encore comprises. Par ailleurs, les crises ne semblent pas précédées de signe annonciateur et leur fréquence est très variable selon les individus.
«Cela fait plus de 50 ans que les spécialistes mondiaux essayent de prédire les crises quelques minutes à l’avance, avec un succès limité», indique Timothée Proix, chercheur genevois. L’enjeu est de taille : le caractère imprévisible des crises constitue pour les patients une menace permanente, les obligeant à prendre un traitement journalier, et contre-indiquant la conduite et la pratique de certaines activité sportives.
Le traitement fait appel à des médicaments aux nombreux effets secondaires potentiels pour réduire l’excitabilité neuronale, voire à la neurochirurgie pour enlever le foyer épileptique. Mais un quart des patients ne répondent pas à ces traitements et doivent apprendre à gérer la chronicité de leur maladie. «Vivre sous cette menace peut aussi atteindre la santé mentale», précise le neurologue Maxime Baud.
L’activité épileptique est mesurable en se basant sur les données d'activité électrique cérébrale enregistrées par électroencéphalographie. Celle-ci permet d’identifier des décharges interictales, c’est- à-dire des décharges évanescentes apparaissant entre les crises, sans pour autant les provoquer directement.
«Nous observons cliniquement que les crises d’épilepsie reviennent en groupe et de manière cyclique. Afin de savoir si les décharges interictales peuvent expliquer ces cycles et prédire l’apparition d’une crise, nous avons été plus loin dans les analyses» explique Maxime Baud.
Les chercheurs ont pu obtenir des données d’activité neuronale récoltées sur plusieurs années grâce à des appareils implantés à long-terme dans le cerveau de patient.e.s souffrant d’épilepsie. Ils ont d’abord eu la confirmation de l’existence de cycles dans l’activité épileptique cérébrale. Puis les chercheurs ont effectué des analyses statistiques, ce qui leur a permis de mettre en évidence un phénomène dit d’«état pro-ictal», où la probabilité d’apparition d’une crise est élevée.
«À l’image des perturbations météorologiques, il y a plusieurs échelles temporelles dans l’activité cérébrale épileptique. La météo est influencée par le cycle des saisons ou encore celui du jour et de la nuit. À une échelle intermédiaire, lorsqu’une dépression atmosphérique arrive, la probabilité de pluie augmente pendant plusieurs jours et est dès lors plus prévisible. Pour l’épilepsie, ces trois échelles de régulation cyclique existent également», précise un autre neurologue, Vikram Rao.
(Crédits : UNIGE Mélanie Proix)
L’activité électrique du cerveau est le reflet de l’activité cellulaire de ses neurones, plus précisément de leurs «potentiels d’action» ; ces signaux électriques se propagent le long du réseau neuronal pour transmettre des informations. Ces potentiels d’action sont bien connus, et leur probabilité d’apparition est modélisable par des lois mathématiques.
«Nous avons adapté ces modèles mathématiques aux décharges épileptiques pour savoir s’ils étaient annonciateurs ou inhibiteurs d’une crise» précise Timothée Proix. Pour gagner en fiabilité de prévision, des enregistrements d’activité cérébrale sur de très longues périodes - six mois minimum - ont été nécessaires. Des périodes à haute probabilité de crise, qui s’étalent sur plusieurs jours, ont pu être déterminées chez une majorité de patient.e.s. Dans certains cas il a été possible de prédire les crises plusieurs jours à l’avance. Si les données d’activité cérébrale sont récoltées sur des périodes d’au moins six mois, la prévision des crises fournit des informations pour deux tiers des patients.
Les données peuvent être fournies par un dispositif suffisamment petit pour être implanté dans la boîte crânienne. Elles sont ensuite transmises en temps réel sur un serveur. Prochaine étape, donc : développer un appareil minimalement invasif qui puisse recueillir et analyser les données, et informer le patient porteur. Ce projet a été confié au Wyss Center, une fondation de recherche en neurotechnologie.
Notes :
1- Forecasting seizure risk in adults with focal epilepsy: a development and validation study