Cyclisme : un protocole pour les commotions cérébrales

Tour de France 2020, 13e étape : Romain Bardet chute, se relève difficilement et repart. Il présente après la course des signes de commotion cérébrale. 1972 : Bernard Thévenet finit une étape le crâne ouvert et amnésique. Il continue le lendemain. Après une chute, faut-il laisser repartir le coureur ? Les commotions cérébrales sont le cauchemar des organisateurs de courses cyclistes. L'Union Cycliste Internationale se dote de son premier protocole.

11 septembre 2021, 13e étape du Tour de France. Romain Bardet chute violemment. Il se relève, s’affale puis se lève à nouveau. Il ne présente aucun signe clinique et est cohérent. Le coureur rejoint le peloton puis - visiblement lucide  - réclame des antalgiques à un véhicule du service médical de la course.

Il finit l’étape sans difficulté. Sur la route de son hôtel Romain Bardet semble ralenti. Il vomit. Bien que le scanner cérébral effectué au CHU de Clermont-Ferrand ne révèle pas clairement de lésion, le coureur est contraint à l’abandon. 

Fallait-il le laisser repartir juste après sa chute ? Le lendemain, le Dr Florence Pommerie - responsable du service médical du Tour - explique à l’AFP : «Tout ce qui compte pour les coureurs, c'est de remonter sur le vélo et de repartir.» En effet, Romain Bardet déclare quelques jours plus tard au Dauphiné Libéré qu’il aurait fallu lui mettre «des menottes» pour l’en empêcher. Il ajoute : «Cela demande de repenser les protocoles car dans le feu de l’action, je n’étais pas en mesure de prendre les bonnes décisions

1972 : le crâne ouvert et totalement amnésique, il termine l’étape  

Autre exemple, pendant le Tour 1972. Dans les Pyrénées, Bernard Thévenet rate un virage dans la descente du col de l'Aubisque et chute lourdement et heurte un mur. Il repart. «D'un coup, je me réveille sur le vélo, comme si c'était le matin dans mon lit. Je ne ressens aucune douleur et je ne réalise pas que j'ai le crâne ouvert. Je me demande où je suis.»1 

Bernard Thévenet raconte qu’en raison du froid il pense alors participer à une course de début de saison, «en février ou en mars». Il appelle son directeur sportif et s’étonne de voir inscrit «Tour de France» sur sa voiture. Réalisant que le programme du jour comporte la montée de l'Aubisque est au programme, il se dit :«Ce doit être une erreur, si j'avais grimpé l'Aubisque je m'en souviendrais.»

A l’arrivée, un médecin lui annonce qu’il aura besoin de sutures au crâne et lui demande s’il a perdu connaissance. Thévenet - par peur de devoir abandonner - lui certifie que non et ajoute en souriant : «Heureusement qu'on n'a pas monté l'Aubisque, sinon je n'aurais jamais pu finir l'étape !»

Le médecin l’envoie passer une radio à l'hôpital, où le coureur reste une nuit en observation. Contre l’avis d’un chirurgien, Thévenet quitte l'hôpital le lendemain. Il gagne l'étape du Ventoux quatre jours plus tard, puis une autre la semaine suivante. Sa conclusion : «J'ai bien fait de ne pas abandonner »

Commotions cérébrales liées au sport, le cas du cyclisme

Le diagnostic des commotions cérébrales liées au sport (CCS) peut être difficile, en raison de symptômes confondants et non spécifiques signalés par l'intéressé et du manque de tests objectifs validés. La plupart des études sur les effets des commotions cérébrales multiples ont montré des déficiences neurocognitives dans les domaines de la mémoire et de la vitesse de traitement ainsi qu’une encéphalopathie traumatique chronique, avec une perte de qualité de vie.

Fait marquant : le nombre de commotions cérébrales et l'intervalle de temps entre les commotions augmentent la gravité des commotions ultérieures et entraînent un risque plus élevé de séquelles neurologiques. Il est donc fondamental d’établir un diagnostic fiable des commotions cérébrales et de mémoriser l'histoire personnelle du sportif, relatif aux commotions cérébrales qui ont pu émailler sa carrière. 

Si le risque de CCS est désormais bien identifié dans les sports de contact et les sports d'équipe, le cyclisme professionnel ne disposait pas encore de protocole spécifique. Pourtant, les CCS représentent entre 1,3 et 9,1% de toutes les blessures spécifiques au cyclisme, notamment dans le cyclisme sur route où les chutes surviennent à vitesse élevée. 

L’Union Cycliste Internationale (UCI) réfléchit à cette problématique depuis septembre 2019 et vient de publier son premier protocole. Les objectifs : évaluer la gravité de la commotion, les conditions du retour à la course - et celles du retour çà la compétition 2. 

Les différentes disciplines 

Certaines disciplines du cyclisme permettent une évaluation rapide et approfondie des commotions cérébrales. C’est le cas lors des courses sur piste ou des compétitions de BMX. Le coureur se trouve toujours à proximité immédiate du service médical.

Surtout, la chute est synonyme d'abandon car le coureur ne peut plus remporter l’épreuve. Le médecin dispose donc de tout le temps nécessaire pour réaliser une évaluation poussée, notamment via le questionnaire SCAT5. C’est l'outil standardisé actuel pour l'évaluation des commotions dans les sports de terrain. 

La problématique est tout autre lors des courses de cyclisme sur route, de VTT-marathon, de cross-country olympique ou d’Omnium (en cyclisme sur piste, succession de quatre épreuves courues en individuel sur une même journée). L’accès au coureur est alors plus difficile, et la prise de décision d’un retrait de la course a des répercussions fortes pour le sportif. Pour ces disciplines cyclistes, une évaluation initiale standardisée de dépistage des commotions cérébrales est donc nécessaire.

Le protocole adopté par l’UCI est basé sur les principes adoptés par l'International Rugby Board. Cette instance est celle qui a réellement transformé la gestion des commotions cérébrales dans le monde du rugby professionnel. Le processus de diagnostic comprend :

Évaluation initiale immédiate

L’UCI estime que lorsqu’un médecin - celui du service médical de la course ou bien d’une des équipes - n’est pas immédiatement présent sur le lieu de la chute ou ne peut pas accéder rapidement aux participants, «il est jugé acceptable que le personnel clé de l'équipe puisse reconnaître une éventuelle commotion cérébrale et prendre les mesures appropriées.».

Pour cela, l’UCI fournit la liste des «Red flags»4 qui doivent alerter le personnel médical, les membres du personnel de l'équipe et des autres équipes et même les autres coureurs. Tous doivent être capables d'alerter les médecins ou les officiels de la course sur la présence de signes qui justifient un retrait immédiat et permanent de la compétition. L'UCI et les fédérations nationales mettront donc en œuvre des politiques d'éducation pour s'assurer que tous ces acteurs de la course maîtrisent ces signaux d’alerte. 


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Tableau 1. Drapeaux rouges et signes observables d'une commotion cérébrale (source UCI).
Détails en note de bas de page.


Par ailleurs, ces acteurs peuvent s'appuyer sur les éléments révélateurs dont ils disposent : casque cassé, impact important, coureur ne répondant pas à la radio, etc. L'inspection de la bande vidéo le cas échéant permet également d’identifier les coureurs potentiellement commotionnés.

Les médecins officiels de la course - ou à défaut celui de l’équipe ou d’une autre équipe - sitôt avertis d’une suspicion de commotion cérébrale réalisent une évaluation standardisée 6 sur le bord de la route. Vu qu’il n’est pas possible comme dans les sports d’équipe (football, rugby), etc.) de décréter un «temps mort» lors de cette évaluation, celle-ci doit intégrer une version modifiée du SCAT5.


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Tableau 2. Évaluation en bord de route (source UCI)


Capture d’écran 2020-12-10 1..

Arbre décisionnel (source UCI)
Nb : SRC - Sport-related concussion = CCS

Réévaluation

Les commotions cérébrales sont des lésions évolutives en phase aiguë et l'apparition des symptômes peut être retardée ou initialement non reconnue. C'est pourquoi l'évaluation doit être répétée immédiatement après la fin de la course et le lendemain. Elle doit inclure :

Les évaluations post-course doivent être effectuées de manière standardisée, par exemple en utilisant le SCAT5. Cet outil devrait être utilisé par des médecins formés ayant une expérience en la matière.  

Autres recommandations 

Les évaluations neurocognitives informatisées, bien qu'elles ne soient pas essentielles, sont couramment utilisées. Elles peuvent aider à prendre une décision pour le retour en course, en particulier lorsqu'un athlète est cliniquement asymptomatique à un stade précoce de l’évaluation. 

Une évaluation de base ou d'avant-saison peut être utile ou ajouter des informations utiles à l'interprétation globale de l'évaluation clinique d’un commotion cérébrale. Un test de base SCAT5 d'avant-saison devrait donc être recommandé ou rendu obligatoire au niveau élitaire/professionnel.

Les déficiences de la fonction motrice vestibulaire / oculaire sont souvent associées à des commotions cérébrales. De nouvelles modalités telles que les tests oculaires à l'aide d'appareils mobiles pourraient fournir des outils de diagnostic rapides et précis. 

Par ailleurs, des tests spécifiques de dépistage de la motricité vestibulo-oculaire pourraient être utiles pour détecter les dysfonctionnements vestibulo-oculaires sur les routes. Toutefois, ces tests reposent sur des symptômes autodéclarés et sont susceptibles de donner des résultats peu fiables. 

Enfin, les capteurs d'impact à la tête fournissent des données sur l'accélération linéaire et rotationnelle qui peuvent être automatiquement visualisées. Cependant, une large gamme de forces linéaires et de rotation peut être à l'origine des commotions ; l’efficacité de ces dispositifs doit être encore évaluée. 

Quand reprendre la compétition ?  

Après une brève période de repos pendant la phase aiguë (24-48 heures) de la commotion, les patients peuvent devenir progressivement plus actifs tout en restant sous le seuil d'exacerbation des symptômes cognitifs et physiques. Des interventions telles que la rééducation psychologique, cervicale et vestibulaire peuvent être effectuées pendant ce processus de récupération.

Le cycliste ne devrait retourner à la compétition qu'après un processus de réhabilitation spécifique à ce sport, graduel et progressif. L'augmentation progressive de la demande physique pendant l'exercice ne doit pas entraîner le retour des symptômes. La durée minimale avant la reprise de la compétition doit être d'une semaine une fois que les coureurs ne présentent plus aucun symptôme post-commotion cérébrale. Chez les juniors, ce délai est porté à deux semaines. 

Benoît Blanquart


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Notes :

1- «J'ai perdu la mémoire dans la descente de l'Aubisque» - Le Parisien (9 juillet 2012)
2- Réunion Consensus d'Harrogate - Commotion Cérébrale dans la Pratique Cycliste

 

3- L’outil SCAT5

C'est un outil standardisé d’évaluation des commotions cérébrales (chez les plus de douze ans) conçu à l’intention des médecins et des professionnels de la santé. Il nécessite au moins 10 minutes. Le seul équipement requis est une montre. Bien qu’il ne s’agit pas d’une obligation, il peut être utile d’effectuer un test de référence au moyen de l’outil SCAT5 avant la saison pour pouvoir mieux interpréter ensuite les résultats des tests en cas de blessure.

4- Ces «drapeaux rouges» sont :

- Perte de conscience, confirmée ou suspectée
- Saisie ou convulsion
- Changement de comportement, agitation, combativité
- Vomissements
- Céphalées graves ou croissantes
- Diplopie
- Faiblesse ou picotements / brûlures dans les bras ou les jambes
- Douleur ou sensibilité du cou

Signes observables :
- Allongé immobile sur la route ou sur la piste
- Désorientation, confusion, incapacité à répondre aux questions
- Dépréciation de l'équilibre
- Regard vide
- Blessure au visage après un traumatisme crânien
- Vision floue, diplopie, difficulté à suivre une cible en mouvement
- Incapacité de parler ou d'avaler

5- Détail de l’évaluation en bord de route :

Questions Maddocks modifiées : "Je vais vous poser quelques questions, veuillez écouter attentivement et faire de votre mieux. D'abord, dites-moi ce qui s'est passé".
- Quel jour sommes-nous ?
- Dans quelle course sommes-nous ?
- Combien de km reste-t-il à parcourir ?
- Quelle a été votre dernière course ?
- Qui est votre directeur d’équipe ?
- Qui a gagné hier (courses par étapes)
Si un athlète répond correctement à toutes les questions de Maddock, la probabilité qu'il souffre d'une commotion cérébrale est faible (0-11%). Cependant, le taux de faux positifs pour le test est relativement élevé, c'est-à-dire qu'un athlète ne peut pas répondre à une ou plusieurs questions et n'a pas de commotion cérébrale (29-68%). 

Dépistage rapide des symptômes (maux de tête, nausées, vertiges, diplopie).
Deux ou plusieurs symptômes d'une gravité légère ou au moins un symptôme d'une gravité modérée ou supérieure doivent être interprétés comme une indication d'une forte probabilité de commotion cérébrale. 

Rappel immédiat de 10 mots (test de la mémoire immédiate)
«Je vais tester votre mémoire. Je vais vous lire une liste de mots et lorsque j'aurai terminé, répétez autant de mots que vous pouvez vous en souvenir, dans n'importe quel ordre».
- Mots lus à raison d'un par seconde
- Trois essais, quel que soit le nombre correct lors du premier essai.
- Pour les essais 2 et 3, indiquer : «Je vais répéter la même liste. Répétez autant de mots que vous pouvez vous en souvenir dans n'importe quel ordre, même si vous avez déjà dit le mot précédent.»
- Marquer 1 point pour chaque réponse correcte. Le score total est égal à la somme des 3 essais. 

NB : Des valeurs de référence de base ont été fournies et, pour les athlètes qui n'ont pas eu de problème, le score global est de 20 sur 30. Les athlètes ont correctement identifié environ 5, 7 et 8 mots pour les essais 1, 2 et 3, respectivement.

Compter à rebours
«Je vais lire une suite de chiffres et quand j'aurai fini, vous me les répéterez dans l'ordre inverse. Si je dis 7-1-9, vous diriez 9-1-7»
- Utiliser une suite de 5 chiffres et lisez à raison d'un chiffre par seconde.
- En cas d'erreur, répétez avec une deuxième chaîne.
Les erreurs dans les deux tests devraient éveiller les soupçons.

Évaluation de l'équilibre (pieds joints, tête en arrière)
Elle est basée sur une version modifiée du Balance Error Scoring System (BESS). En raison de la présence de chaussures modifiées dans le cyclisme, seule la position sur deux jambes a été incluse.
«Je vais tester votre équilibre. Ce test consistera en trois tests de 20 secondes. Placez vos pieds joints, les mains sur les hanches et les yeux fermés. Vous devez essayer de maintenir votre stabilité dans cette position pendant 20 secondes. Je vais compter le nombre de fois où vous quitterez cette position.»
- Mains décollées de la crête iliaque
- Ouvrir les yeux
- Marcher, trébucher ou tomber
- Déplacement de la hanche en abduction > 30 degrés
- Soulèvement de l'avant-pied ou du talon
- Reste hors de la position de test > 5 sec
Chaque erreur compte un point (nombre maximum = 10). Si l'athlète commet plusieurs erreurs simultanément, une seule erreur est enregistrée mais l'athlète doit rapidement revenir à la position de test et le comptage doit reprendre une fois que l'athlète est placé. Les athlètes qui ne sont pas en mesure de maintenir la position de départ pendant au moins cinq secondes se voient attribuer le score le plus élevé possible. Toute erreur devrait éveiller les soupçons. 

Évaluation de la colonne vertébrale et du cou
- L'athlète déclare-t-il que sa nuque n'est pas douloureuse au repos ?
- S'il n'y a aucune douleur au cou au repos, l'athlète a-t-il une gamme complète de mouvements actifs sans douleur ?
- La force et la sensation des membres sont-elles normales ?
Toute évaluation anormale devrait entraîner le retrait de l'athlète et une évaluation médicale supplémentaire.

Rappel différé des 10 mots précédents
(l’athlète n’a pas été informé lors du premier test)
- 5 minutes après le rappel immédiat.
- «Dites-moi autant de mots de la liste que vous pouvez vous en souvenir dans n'importe quel ordre»
Dans la population mondiale, le score moyen de mémoire différée est de 6,6 mots sur 10. L'incapacité à se souvenir de 4 mots ou plus doit éveiller les soupçons.