De l’évolution générationnelle chez les médecins Français. Entretien avec le Dr. Jacques-Olivier Dauberton Président de REAGJIR.

Les résultats de notre récente enquête sur la loi santé ont mis en évidence une fracture entre les syndicats et le terrain. Une fracture qui s’explique notamment par une évolution générationnelle. En effet, les jeunes médecins ont des revendications et priorités qui se distinguent de celles de leurs aînés. Le docteur Jacques-Olivier Dauberton Pr

Les résultats de notre récente enquête sur la loi santé ont mis en évidence une fracture entre les syndicats et le terrain. Une fracture qui s’explique notamment par une évolution générationnelle. En effet, les jeunes médecins ont des revendications et priorités qui se distinguent de celles de leurs aînés. Le docteur Jacques-Olivier Dauberton Président de REAGJIR* (Regroupement Autonome des Généralistes Jeunes Installés et Remplaçants) a répondu à nos questions sur cette évolution générationnelle.

Q1. Selon l’Atlas de la démographie médicale du CNOM, les moins de 40 ans représentent au 1er janvier 2015, 17,4% des médecins en activité régulière. Ces praticiens font partie de ce que les sociologues appellent la génération Y, leurs aspirations sont-elles selon vous différentes de celles des générations précédentes ?

Il y a une véritable évolution sociétale et des besoins différents de ceux des générations précédentes. Cette réalité ne concerne pas seulement les médecins: les plus jeunes veulent pouvoir travailler dans de bonnes conditions et avoir du temps pour soi, ses enfants et la vie tout simplement.

Je ne veux pas être caricatural mais avant le médecin était souvent le notable du village, sa femme travaillait en tant que secrétaire et tout tournait autour du cabinet. La situation a évolué, on a d’une part une féminisation de la profession avec 80% de femmes et d’autre part le couple qui a lui aussi évolué. Maintenant, il est fréquent que les deux partenaires travaillent, il n’y a plus la nécessité que le médecin soit le notable de la ville. Il y a un souhait de travailler et vivre mieux et je pense que c’est une évolution normale.

17,4% c’est peu, mais ça correspond très clairement à un souhait d’exercice. Les jeunes médecins veulent une activité mixte, partagée et il y a de plus en plus de mi-temps, quart-temps et de plus en plus de remplaçants pour permettre plus de libertés. Les remplaçants non-thésés ne sont pas comptés par le CNOM, ils ont une activité régulière mais ne sont pas compté.

Q2. Quels sont selon vous les marqueurs de cette évolution générationnelle ?

Dans l’atlas du CNOM on remarque que beaucoup font le choix de rester salariés ou remplaçant. Il a, je pense deux systèmes, le libéral et le salariat, qui s’opposent et les jeunes médecins veulent le mélange des deux. Actuellement dans le libéral on cherche à travailler en groupe, pour être plus libre, on sait alors que quelqu’un est toujours là, et avec le salariat il y a des horaires et salaires fixes. Et finalement les jeunes médecins veulent un mélange des deux: on voit beaucoup de jeunes médecins qui font un mi-temps salarial et un mi-temps libéral, avec par exemple deux demi-journées en cabinet et le reste du temps en PMI ou ailleurs.Je pense que c’est comme cela que l’évolution se traduit dans la pratique de la médecine.

C’est fini le médecin libéral tel qu’on l‘entend, qui travaillait de 7h à 22h, restait au cabinet sans prendre de vacances. Les jeunes eux veulent une meilleure maîtrise de leur temps, il y a de plus en plus de jours off, des horaires un peu plus adaptés aux enfants par exemple et c’est un marqueur central sur l’atlas du CNOM.

Mais attention, si on regarde les chiffre de l’isnar-IMG cela veut pas dire que le libéral ne plaît plus, il faut simplement le faire évoluer, et arrêter de parler de libéral et salariat. Il faut parler d’exercice ambulatoire; les jeunes médecins veulent un exercice plus tonique et il y a une volonté de faire évoluer son exercice. Ils achètent de moins en moins de cabinet, ils le louent plutôt, car ils ont leur conjoint par exemple qui a un métier et peut à un moment ou un autre déménager et ils n’ont plus envie d’être liés. Ils ne veulent plus non plus s’attacher et cela aussi est un marqueur.

Q3. Le fait d’être un syndicat jeunes médecins implique-t-il une communication/relation différente avec ses membres ?

Nous avons de la chance, nous existons depuis 2008 et on est jeunes par rapport aux syndicats seniors, du coup nous ne sommes pas liés à un historique syndical. Et du coup notre communication est un peu différente. Nous avons 600 adhérents et sommes suivis par 15 structures adhérentes; on fait des formations locales, on essaie de travailler de plus en plus avec les ARS et la CNAM afin de mettre en place des formations. On a moins “peur” de travailler avec les élus. On a pas mal de guides et d’information sur notre site, on les met à jour régulièrement, on les relance. Et c’est vrai qu’on utilise beaucoup les moyens de communication modernes, Facebook, Twitter, d’ailleurs on a de plus en plus de personnes qui nous suivent.

Au delà de ça, on a des axes d’attaque différentes car il est nécessaire de renouveler les messages. Votre étude montrait qu’il y avait une désaffection entre les syndicats seniors et les revendications du terrain et je pense que c’est lié au fait que les syndicats seniors rentrent dans des obligations plus historiques. Pour nous, il est important de renouveler le discours. Avec la rémunération, par exemple, beaucoup de syndicats souhaitent une augmentation du C alors que les jeunes médecins, qui veulent effectivement changer la rémunération, ne veulent pas une augmentation sur la base du C mais plutôt une rémunération adaptée à leur mission. Il y a pour cela d’autre manière que l’acte pur. Le changement de discours est associé à une façon de faire différente: nous sommes moins dans l’opposition stricte, on essaie de faire évoluer les choses avec des discussions avec le ministère de la santé, l’État et les ARS au niveau local.

Finalement quoi qu’il arrive les syndicats ont une mauvaise presse,  il y a peu de personnes qui sont syndiquées. Mais les jeunes médecins veulent se battre, ils étaient 40 000 personnes à la manifestation en mars et ils ont besoin de se faire entendre. Ils n’ont aujourd’hui, pas ce sentiment et ne se reconnaissent pas dans des principes ne correspondant pas à leur souhait d’exercice. Donc on essaye de changer tout ça. On est dans une période intéressante, les syndicats senior ont la main mise parce qu’ils sont là depuis 20-40 ans et nous on commence à être écoutés, on fait énormément de travail avec le CNOM avec la commission jeunes médecins par exemple et on commence à faire avancer les choses. Il y a 4 ans, par exemple, on ne pensait pas qu’il y aurait des nouveaux modes de rémunération avec la Ffmps (Fédération Française des Maisons et Pôles de Santé).

Il faut faire en sorte que deux systèmes cohabitent avec le paiement à l’acte pur cher à certains et un système différent pour permettre une transition en douceur. L’avantage du libéral et celui du salariat: on veut plus faire 40 actes mais plutôt 25 et travailler dans de bonnes conditions avec du temps pour les patients. Avec le paiement à l’acte on est rémunéré en fonction du nombre de patients vus mais on a de plus en plus suivi de pathologies chroniques avec des consultations de plus en plus longues et c’est dommage qu’à cause de cela on ait des difficultés financières. Il faut trouver un équilibre. On fait avancer les choses. Je suis assez optimiste. Et je pense que ça va être assez intéressant!


*REAGJIR est une intersyndicale a destination des jeunes médecins généralistes, comptant 15 structures régionales adhérentes. Les remplaçants en médecine générale, les généralistes jeunes installés depuis moins de 5 ans (quel que soit leur mode d’exercice en soins primaires) et les Chefs de Clinique de médecine générale y sont représentés. À l’heure actuelle REAGJIR compte environ 600 membres.

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Texte : pg