Après plus de 18 mois d’expérience de la téléconsultation - dont les deux derniers mois d’exercice intensif et quasi-exclusif en période de confinement -, voici mes quelques réflexions sur les grands changements apportés par cette pratique.
Si la distance réelle entre le médecin et le patient est abolie, d’autres distances peuvent être brouillées. Au cabinet, médecin et patient sont face à face, séparés par un bureau, dans un lieu neutre. La téléconsultation bouscule ces conventions.
Le médecin n’est pas leur ami. Alors pourquoi certains patients approchent-ils autant leur smartphone, imposant leur visage en gros plan ? Cette proximité infligée serait inacceptable lors d’une consultation présentielle. La promiscuité virtuelle ainsi créée peut évoquer celle d’un rapport intime ou d’une étreinte. Même virtuel, le non-respect d’un espace de sécurité perturbe l’indispensable distanciation intellectuelle et affective avec le patient. C’est cet espace qui permet aussi au médecin d’absorber la douleur des malades.
Autre effraction, celle du lieu de vie. Certains patients, soucieux d’échapper au regard du conjoint, du co-locataire, de la famille ou des enfants, consultent dans des lieux insolites. Ils se réfugient dans leur voiture ou encore leur salle de bain, avec son arrière-fond de shampooings et de serviettes hygiéniques.
La situation est inhabituelle : le patient n’est plus soumis au lieu mais l’impose. Il impose aussi sa gestuelle. Celui-ci est allongé dans un lit ou affalé dans son canapé. Celui-la se déplace d’une pièce à l’autre pour aller chercher ses résultats d’analyse ou exhumer une boîte de médicaments. Tel autre, agité, marche sans cesse voire gesticule avec son téléphone comme ces enfants turbulents que nous recevons au cabinet.
Le médecin, lui, est assis. Il attend. Le contrôle physique sur le corps du patient est aboli. Les consignes classiques en cabinet - «levez-vous», « déshabillez-vous »… - sont ineptes. La relation de pouvoir entre ces deux acteurs est chamboulée. La téléconsultation n’a décidément rien à voir avec la traditionnelle visite à domicile du docteur avec sa sacoche qui se rend chez un patient incapable de se déplacer (car alors le positionnement «hiérarchique» médecin-malade est respecté).
Nos schémas classiques de consultation étant brouillés, l’interrogatoire prend encore plus d’importance. Puis le regard du médecin doit s’aiguiser pour capter la moindre information évoquant une éventuelle urgence : altération de la respiration, rythme et l’intensité de la voix, battement des ailes du nez, ouverture de la bouche, creusement en haut du sternum, contraction des muscles du cou révélant un tirage… Autant de signes qui supplantent provisoirement l’auscultation et les examens complémentaires réalisés en cabinet.
La téléconsultation facilite aussi la rencontre, notamment avec le spécialiste, lorsqu’un patient a l’impression qu'une première prise en charge médicale - par le généraliste ou le spécialiste - n’était pas adaptée ou qu’il ne comprend pas sa prescription. Le contact virtuel permet dès lors de réintroduire le patient dans le système de soins le plus adapté (éducation thérapeutique, conseil d’hospitalisation ou de prise en charge dans une unité spécialisée).
Ce nouveau mode de consultation n’entraine pas de surconsommation médicale. Il correspond simplement à notre époque, celle ou les patients prennent une part active dans leur suivi. Si la téléconsultation génère des modifications radicales, elle est, surtout, un vrai progrès.